soleil
commence à chauffer. Je me suis dit qu'il venait se mettre un peu à
l'ombre. C'est vrai que je l'ai trouvé bizarre dans son
accoutrement. Il a fait le tour de mon tronc et à la fin, il a fait
une grosse croix avec de la peinture. J'ai rien compris.
Et
voilà, aujourd'hui, je suis tout nu ou presque. Ils ont tout enlevé.
Les feuilles, les branches, les glands. Je ne verrai plus les
écureuils. Il ne me reste que quelques moignons par-ci par-là. Soit
disant, il fallait m'élaguer, je prenais trop de place. Je gênais
mes congénères. Mais là, ils m'ont carrément tondu. Je vais
mourir…
Pourquoi
moi et pas les autres ?Lui
à ma droite, le Hêtre,
qui profite de ma hauteur pour grandir tranquillement à l'ombre. En
plus, il commence à me dépasser et me fait de l'ombre, ombre que je
n'apprécie pas du tout. En plus de ça, il a vraiment une drôle de
tenue avec ces mycorhizes, beurk ! Il aurait pu finir en
contre-plaqué, en meubles ou en jouets.
Ou l'autre à ma gauche, le Charme
avec ses branches longues et grêles, et son fruit volant, l'akène.
Regardez son tronc, on dirait de longs muscles. Il n'a rien
d'élégant. Il aurait pu finir en pâte à papier, ou en bois de
chauffage. Ou
lui, en face, l'Erable,
le faux-platane. On dit de lui que ces graines peuvent être
transportées sur des distances considérables par le vent. On dit
qu'il prend de magnifiques teintes en automne. C'est pas une raison.
De toute façon, il n'en a plus pour longtemps. Il a déjà 140 ans.
Il aurait pu faire un bel ustensile de cuisine.
Ou
encore lui, le Frêne.
D'abord, il devient beaucoup trop haut avec son tronc qui ressemble à
une peau de crocodile. C'est un paresseux avec ces feuilles
lancéolées. Ces grappes pendantes qui ressemblent à des « langues
d'oiseau ». Encore un qui aurait pu finir dans une cheminée, ou en
article de sport.
Moi,
on m'appelle sa majesté le Chêne.
Je sais, je suis très vieux mais pas encore assez pour mourir, je
vais bientôt avoir 1000 ans. Mon écorce est très crevassée, mais
je reste très dur en vieillissant. Moi qui symbolise la force et la
majesté, je ne ressemble à plus rien.
Je
me souviens des amoureux qui venaient s'asseoir à mes pieds.
J'aimais les regarder s'embrasser. Il me grattouillait le tronc pour
graver leurs initiales. Je me souviens de ce petit garçon qui venait
se réfugier à mes pieds pour échapper à une fessée. Je me
souviens du temps des druides, des celtes, eux ils ne m'auraient
jamais fait de mal.
Plus
personne ne viendra m'enlacer, chuchoter au creux de mon écorce,
partager avec moi ce qui leur tient à cœur. J'étais devenu leur
ami, leur confident. Plus personne ne viendra me câliner.
Maintenant, je vais devoir attendre des mois, peut être des années
avant que l'on ne vienne se recueillir autour de moi. Je ne ressemble
à plus rien. Bientôt je finirai en tonneau, en cercueil, en pilotis
ou en bateau.
Eureka,
j'ai compris. En fait, ils ont coupé toutes mes branches à cause
des cocons remplis de chenilles processionnaires qui s'étaient
allongées le long de mes branches. Je vais pouvoir encore vivre 1000
ans.
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