Quelquefois elle imagine à quel point tout aurait été
facile si elle avait été un garçon. Quand elle pense aux paroles
que disait sa mère : « Je préfère mes garçons, c’est
une offrande de Dieu ».
Lorsqu’elle cherche au fond de
sa mémoire des images du passé, elle n’arrive pas à retrouver
celles où sa mère la prend dans ses bras comme elle le faisait avec
ses fils. Elle devait être sage, laisser sa place aux autres. La
femme pudique qu’était sa mère, n’était en fait qu’une
diablesse. Son père lui, il l’aimait, mais beaucoup trop.
Elle était petite, elle ne comprenait pas. Il lui disait : «
tous les papas font ça », que c’était normal et que surtout
elle ne devait rien dire. Elle redoutait les dimanches où ils
partaient tous les deux en voiture, lui sobrement habillé.
Elle n’était qu’une enfant avec qui l’on joue, avec qui l’on
assouvit ses plaisirs. Il l’appelait sa « fifille ».
Elle était sa petite dernière. Comme elle aurait tant aimé ne pas
l’être. Lui, le mâle dont elle avait tant de fois eu peur. Elle
craignait ses regards et ses mains.
Elle se rappelle les moments où
elle était seule, là, dans son coin. Elle ne disait rien. Elle
avait 6 ans quand il avait pris sa vie.
Elle avait vécu
dans le mensonge, les secrets. Elle avait passé
35
ans de sa
vie à faire croire au monde qui l’entourait, qu’elle était
heureuse, mais derrière cette carapace qui s’était formée
autour de son
corps, elle
souffrait.
Elle
ne
pouvait
rien dire. Elle
se sentait coupable. Elle pensait qu’elle fabulait. Elle n’arrivait
pas à trouver le bon moment.
La honte, la culpabilité, la haine sont des sentiments qui l’ont
poursuivie
toute sa
vie. Les
années ont passé, dans la douleur, la maladie, la mort de ces êtres
détestés qui fut une libération pour elle.
Puis
un jour, le moment est
venu
où
les langues
proches
d’elle
se
sont
déliées.
Les
paroles ont
fusé et elle s’est délivrée.
La
chrysalide
s’est
transformée
en
papillon.
Elle
entend
encore les balbutiements
de son
cœur quand elle
l’a
rencontré. Lui, l’homme qui allait changer sa
vie. Celui
qui a ouvert les
yeux sur sa
vie et sur elle.
Celui qui avec douceur lui
a fait
comprendre qu’elle
était
une femme et non un objet. Au premier instant de leur
rencontre, il avait tout compris d’elle.
Elle
a enfin
pu regarder un homme dans les yeux, sans avoir peur de ses
gestes. Elle
est
enfin
devenue
une
femme dans ses
bras et
non plus un objet.
Elle
aime
quand il la
regarde, quand il la
touche, quand il lui
fait l'amour. Elle
aime
être dans ses bras. Elle
aime
quand il lui
parle. Elle
avale
toutes ses
paroles. Il
la
rassure.
Aujourd’hui
elle
se contemple
dans un miroir et elle
voit
un visage
fatigué par ces années de souffrances, un
corps meurtri. Il
est enfin temps qu’elle
se
réveille et
qu’elle
pense
enfin
à elle.
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